Le Kwonbeop, porte d’entrée des arts martiaux
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Fiche d’identité
Titre & section concernée :
Muye Dobo Tongji : vol. 4, chapitre « 拳法 » (Kwonbeop, boxe à mains nues)
Ouverture du chapitre : citation de Qi Jiguang adaptée du Jixiao Xinshu (chap. 14 « 拳經捷要 »)
Date :
Compilation du Muye Dobo Tongji : 1790–1795 (Joseon)
Source chinoise citée : Jixiao Xinshu, chap. 14, vers 1560 (dynastie Ming)
Lieu :
Royaume de Joseon (Corée) – manuel militaire officiel
Origine de la citation : Chine des Ming
Auteurs :
Compilateurs coréens : Yi Deokmu, Pak Je-ga, Baek Dong-su et leurs collègues, sur ordre du roi Jeongjo
Source citée : général Qi Jiguang (戚繼光), auteur du Jixiao Xinshu
Langue originale :
Chinois classique (hanja/hanmun), utilisé en Corée dans les manuels militaires.
Nature du texte :
Traité militaire illustré ; le Kwonbeop y apparaît comme discipline à mains nues pour l’entraînement des soldats.
Extrait choisi : Qi Jiguang & le Kwonbeop
Texte original (version Muye Dobo Tongji)
戚繼光曰:拳法似無豫于大戰之技,然活動手足,慣勤肢體,爲初學入藝之門。
Citation du général Qi Jiguang reprise en ouverture du chapitre sur le Kwonbeop du Muye Dobo Tongji, avec quelques légères variantes par rapport au texte chinois original.
Traduction française
« Qi Jiguang dit :
La boxe (quanfa/kwonbeop) ne semble pas, à première vue, compter parmi les techniques des grandes batailles.
Pourtant, elle met en mouvement mains et pieds et habitue le corps à l’effort :
elle constitue, pour le débutant, la porte d’entrée dans les arts martiaux. »
Dans le texte chinois d’origine, le général Qi ajoute encore :
« Cette boxe est la source des techniques martiales. »
Le Muye Dobo Tongji ne garde pas cette dernière phrase, mais en reprend clairement l’esprit.
Présentation rapide des auteurs
Qi Jiguang (戚繼光)
Général de la dynastie Ming, connu pour ses campagnes contre les pirates wokou. Dans son Jixiao Xinshu, il consacre un chapitre à la boxe (quanfa) : un enchaînement de 32 postures servant de base commune pour renforcer le corps des soldats et préparer le travail aux armes.
Les compilateurs du Muye Dobo Tongji
Sous le règne de Jeongjo, la cour de Joseon fait réviser les manuels militaires. Yi Deokmu, Pak Je-ga, Baek Dong-su et d’autres s’inspirent de traités chinois comme le Jixiao Xinshu, mais les réorganisent pour produire un manuel coréen complet. Le chapitre Kwonbeop garde la structure des 32 méthodes et s’ouvre sur la citation du général Qi.
Commentaires
La phrase commence par une fausse dévaluation :
« La boxe ne semble pas utile pour les grandes batailles… »
Mais le général Qi retourne aussitôt la perspective :
- elle exerce mains et pieds,
- elle habitue le corps à l’effort,
- elle est la porte d’entrée (入藝之門) des arts martiaux.
En reprenant cette phrase en ouverture du chapitre Kwonbeop, les lettrés-soldats coréens adoptent explicitement la même vision :
- le Kwonbeop n’est pas la finalité du soldat,
- c’est le travail préparatoire indispensable : structure du corps, coordination, endurance.
Limites & débats
Kwonbeop = Contexte militaire uniquement
Le texte décrit un entraînement de caserne pour des troupes régulières. On n’y trouve ni dimension ludique, ni culture du jeu (Hee) comme dans le Subak ou le Taekkyon.
Rien ne permet non plus d’affirmer que des civils le pratiquaient.
On ne peut donc pas en déduire, avec certitude, un « rapport direct » avec le Subak ou le Taekkyon.
Modèle chinois, lecture coréenne
Le chapitre Kwonbeop du Muye Dobo Tongji s’appuie clairement sur le modèle chinois du Jixiao Xinshu.
Cela montre une importation structurante, mais laisse ouverte la question de ce que les Coréens ont pu modifier, adapter ou ajouter autour de ce noyau.
Pourquoi cette source est importante pour le Taekkyon ?
Elle donne un statut clair aux arts à mains nues
Le Kwonbeop est défini comme gymnastique martiale de base : mobilité, coordination, endurance et exercices en opposition.
Il prépare le corps au maniement des armes.
Cela aide à penser le Taekkyon comme pratique de formation du corps, pas seulement comme jeu ou sport.
Elle bouscule deux idées reçues
- « Les arts à mains nues sont secondaires, donc sans valeur martiale. »
- « Le Taekkyon n’est qu’un jeu sans martialité. »
Ici, un grand général et un manuel militaire officiel reconnaissent explicitement le rôle central de la pratique à mains nues dans la formation martiale, même si elle ne suffit pas pour la bataille rangée.
Subak, arts du peuple – Kwonbeop, art de caserne
Les sources modernes et les annales laissent entrevoir une différence de contexte intéressante : d’un côté, le Subak et le Subak-hee (수박희, RR : Subakhui, prononcé « Subak-hi ») fonctionnent comme jeux et concours, visibles à la cour mais aussi dans le peuple, avec parfois un rôle de sélection militaire (battre plusieurs adversaires pouvait ouvrir la porte à un poste de soldat ou de garde). Sous Joseon, le Taekkyon semble reprendre en partie cette logique : jeu, spectacle et pratique populaire, tout en conservant une dimension martiale.
De l’autre, le Kwonbeop du Muye Dobo Tongji apparaît surtout comme une pratique de caserne : une boxe codifiée dans un manuel officiel, destinée à structurer le corps des troupes.
Cette différenciation entre art du peuple et art de caserne n’oppose pas « jeu » et « martialité » : elle montre plutôt deux façons différentes d’organiser le travail du corps – l’une par le jeu et le spectacle, l’autre par l’exercice militaire.
Conclusion
Cette citation du général Qi Jiguang, reprise dans le Muye Dobo Tongji, résume une idée simple mais structurante : les arts à mains nues ne sont pas faits pour le champ de bataille, mais ils sont la base corporelle de toutes les autres techniques.
Dans la perspective du Taekkyon, cette source fournit un cadre historique solide pour penser les pratiques à mains nues en Corée : une porte d’entrée et une source du travail martial.
Dans un contexte où beaucoup recherchent avant tout « le coup qui tue », le premier rôle d’un art martial à mains nues ne serait-il pas, d’abord, de forger le corps et d’affûter les sens ?
Que retenir de cette ressource ?
Existe-t-il un lien direct entre le Subak, le Taekkyon et le Kwonbeop du Muye Dobo Tongji ?
- On peut parler de famille d’arts à mains nues, mais pas d’une filiation simple. Le Subak et le Subak-hee (수박희, Subakhui) apparaissent dans les archives surtout comme des jeux et concours, parfois liés au recrutement ou au prestige militaire. Le Taekkyon, plus tard, reprend une partie de cette logique de jeu, de spectacle et d’opposition ritualisée. Le Kwonbeop du Muye Dobo Tongji, lui, est une boxe de caserne : une forme codifiée dans un manuel officiel, pensée comme exercice systématique pour les soldats, en grande partie inspirée du traité chinois Jixiao Xinshu. Ils partagent donc un terrain commun – le travail du corps à mains nues – mais on ne peut pas parler de « lien direct ».
Pourquoi la citation de Qi Jiguang est-elle importante pour comprendre le Kwonbeop ?
- Cette citation pose clairement le rôle de la boxe : elle n’est pas faite pour la bataille rangée, mais pour mettre en mouvement mains et pieds, habituer le corps à l’effort et servir de porte d’entrée aux arts martiaux. En la plaçant en ouverture du chapitre Kwonbeop, les lettrés de Joseon adoptent cette vision pour l’entraînement des soldats.
Le Kwonbeop était-il pratiqué par le peuple comme le Subak-hee ou le Taekkyon ?
- À notre connaissance, non. Le Kwonbeop du Muye Dobo Tongji apparaît surtout comme une pratique militaire, liée aux manuels officiels et à l’entraînement des troupes. À l’inverse, le Subak-hee et plus tard le Taekkyon apparaissent aussi dans des contextes de jeux, de concours et de spectacles, visibles à la cour mais également dans le peuple.
Qu’est-ce que cette source change dans notre regard sur les arts à mains nues ?
- Elle rappelle que les arts à mains nues ne sont pas seulement des jeux « folkloriques », ni des systèmes létaux centrés sur « le coup qui tue ». Pour Qi Jiguang comme pour les compilateurs du Muye Dobo Tongji, la boxe est surtout une base corporelle : elle forge le corps, affine la coordination et prépare au maniement des armes. C’est une très bonne grille de lecture pour penser le Taekkyon aujourd’hui.