Quand le Subak-hee a mis le feu aux poudres
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Fiche d’identité
Titre :
O-byeong Subak-hee (五兵手搏戱) devant les Cinq Portes – Annales de Goryeo (Goryeosa, Livre 19)
Date :
30ᵉ jour du 8ᵉ mois, 24ᵉ année du roi Uijong (의종) → 11 octobre 1170
Lieu :
Devant les Cinq Portes (五門), sur la route menant au temple Bohyeon / Bohyeonwon (普賢院), près de Gaegyeong (개경), capitale du royaume de Goryeo.
Auteurs :
Texte transmis par les Annales de Goryeo (고려사, Goryeosa), chronique officielle de la dynastie Goryeo,
ouvrage compilé au XVe siècle (1451) sous la dynastie Joseon, par un groupe de lettrés dirigé notamment par Kim Jongseo (김종서), Jeong Inji (정인지) et Yi Seonje (이선제).
Langue originale :
Chinois classique (hanja, 漢字), style d’annales historiques.
Nature du texte :
Extrait des annales royales du Goryeosa : entrée chronologique décrivant un épisode immédiatement lié au déclenchement de la révolte des militaires (Mu-sin jeongbyeon, 무신정변) de 1170.
Section concernée :
Goryeosa (고려사), livre 19 (권19),
Annales du roi Uijong (毅宗世家),
24ᵉ année de règne, 8ᵉ mois, entrée du 30ᵉ jour (丁丑).
Extrait choisi : Subak-hee devant les Cinq Portes
Texte original
丁丑 王將幸普賢院, 至五門前, 召侍臣行酒.
酒酣, 顧左右曰, 「壯哉! 此地, 可以練肄兵法。」
命武臣爲五兵手搏戱.
Traduction française
« Le jour Jeongchuk (丁丑), alors que le roi se rendait au temple Bohyeon (普賢院), il arriva devant les Cinq Portes (五門) et fit appeler ses courtisans pour boire.
Quand le vin eut échauffé l’assemblée, il regarda autour de lui et déclara : “Magnifique ! Cet endroit est propice à l’entraînement militaire.”
Il ordonna alors aux officiers militaires (武臣) d’exécuter un Subak-hee (수박희, RR : subakhui, prononcé “sou-bak-hi”) des Cinq Troupes (五兵手搏戱). »
Lexique & définitions :
Subak-hee (수박희, RR : subakhui, prononcé “sou-bak-hi”) :
Terme composé de Subak (수박) + Hee/희 (戱).
- Subak (수박, RR : subak) désigne, selon les contextes, un combat / art à mains nues. Le terme est débattu : certains auteurs y voient un nom commun (au sens de “combat à mains nues”), d’autres l’emploient comme un nom propre désignant une discipline martiale spécifique. Littéralement, l’expression renvoie à l’idée de « frapper avec la main », ce qui indique surtout l’absence d’armes, sans exclure l’usage du reste du corps. Il est donc raisonnable d’y voir, au moins dans certains contextes, un système complet pouvant inclure frappes pieds-poings, saisies, immobilisations, projections, etc.
- Hee / 戱 renvoie à l’idée de joute, divertissement, spectacle.
On peut donc comprendre Subak-hee comme une forme ludique, compétitive ou démonstrative du Subak, mise en scène ici devant le roi. Le texte ne précise pas en quoi cette forme se distingue techniquement du “Subak” pris au sens large, mais suggère un format codifié, adapté à la performance et à la démonstration.
Les débats sur la nature exacte du Subak (nom commun, nom propre, champ technique réel) sont nombreux : ils feront l’objet d’un article dédié.
五兵 (o-byeong) : litt. « cinq troupes / cinq corps de soldats ».
La plupart des historiens y voient soit cinq unités, soit une référence aux “cinq armes” militaires, mais le contexte insiste surtout sur des troupes en démonstration.
Contexte historique
Nous sommes en 1170, veille de la grande révolte des militaires (무신정변).
Le roi Uijong aime les fêtes, le vin et les lettrés plus que ses officiers militaires. En route vers le temple Bohyeon, il fait halte aux Cinq Portes, boit avec ses courtisans et, enthousiasmé par le lieu, déclare que l’endroit est parfait pour « entraîner les troupes ».
Il ordonne alors aux officiers militaires de réaliser un Subak-hee des Cinq Troupes (五兵手搏戱) : un combat/jeu à mains nues présenté comme exercice militaire… mais aussi comme spectacle pour la cour.
Dans les passages plus complets, l’épisode dégénère : un officier est humilié par un lettré, tout le monde rit, les militaires explosent de colère. Peu après, ils se soulèvent et renversent l’ordre établi.
Le texte nous vient du Goryeosa, chronique officielle de Goryeo compilée plus tard sous Joseon. C’est donc un récit rétrospectif, mais basé sur des archives antérieures.
Commentaires
Le terme Subak-hee (手搏戱) désigne ici clairement un combat/jeu à mains nues suffisamment codifié pour qu’on puisse en ordonner la démonstration à toutes sortes de troupes.
Le cadre est double :
- militaire (entraînement et démonstration),
- festif (banquet, spectacle devant le roi).
Le Subak-hee devient aussi un théâtre social : lieu d’humiliation d’un officier par un lettré, révélateur du mépris envers les militaires.
Une petite frustration pour nous : aucun détail technique n’est donné (règles, gestes, usage des jambes, etc.). On sait que c’est du combat à mains nues, mais aucun indice sur la manière dont on combat.
Limites & débats
- Source tardive : le Goryeosa est compilé au XVe siècle à partir de documents plus anciens. On a un filtre idéologique confucéen (critique d’un roi décadent) et non un “reportage sur le vif”.
- Expression “五兵手搏戱” : on comprend qu’il s’agit d’un Subak-hee impliquant cinq troupes/formations de soldats, mais pas plus. Le texte ne décrit ni règles ni forme précise.
- Pas de lien explicite Taekkyon : rien, dans ce passage, ne peut donner un indice fiable sur le lien Subak/Taekkyon. Les interprétations sont multiples et, pour beaucoup, modernes, donc à manier avec prudence.
- Dimension morale : l’épisode sert aussi à montrer comment la frivolité et l’arrogance d’un roi peuvent conduire à une catastrophe politique. Le Subak-hee est l’un des éléments déclencheurs de ce soulèvement.
Pourquoi cette source est importante pour le Taekkyon ?
- Elle fournit une attestation claire et datée d’un jeu/combat à mains nues (Subak-hee) au XIIᵉ siècle, connu de la cour et des militaires.
- Elle montre que ce type de pratique peut être à la fois entraînement militaire et spectacle, ce qui résonne avec le double visage “jeu / art martial” qu’on retrouve plus tard dans le Taekkyon.
- Elle prouve qu’il existe, bien avant le Taekkyon moderne, un écosystème de pratiques à mains nues nommées, insérées dans la culture aristocratique et militaire.
- Elle est idéale pour nuancer : oui, il y a une profondeur historique des combats à mains nues en Corée ; non, on ne peut pas tracer une ligne directe et propre entre ce Subak-hee de 1170 et le Taekkyon tel qu’on le pratique aujourd’hui.
Conclusion
Ce court passage du Goryeosa, où un roi un peu trop éméché ordonne un Subak-hee devant les Cinq Portes, est un nœud où se croisent :
- l’histoire politique (la révolte des militaires de 1170),
- l’histoire sociale (tensions entre lettrés et militaires, spectacle de cour),
- et l’histoire des pratiques à mains nues (Subak-hee, jeu/combat institutionnalisé).
Pour un chercheur ou un pratiquant de Taekkyon, cette source :
- fixe dans le temps le Subak-hee comme pratique reconnue,
- montre qu’elle peut être à la fois jeu, entraînement et théâtre social,
- met en garde contre les reconstructions trop simples d’une “lignée pure” Subak → Taekkyon.
En résumé : ce texte forme l’une des pierres angulaires pour comprendre l’écosystème des arts à mains nues coréens traditionnels, dont le Taekkyon fait partie.
Que retenir de cette ressource ?
Qu’est-ce que cet épisode du Subak-hee nous apprend vraiment sur la pratique du Subak ?
- Ce passage montre que le Subak-hee est un jeu/combat à mains nues suffisamment codifié pour être présenté par des troupes militaires devant le roi. En revanche, il ne donne aucun détail technique : impossible de décrire une garde, une distance ou un type de coup à partir de ce texte seul.
Le Subak-hee décrit ici est-il l’ancêtre direct du Taekkyon ?
- Le texte ne le montre pas. Il atteste l’existence d’un jeu de combat à mains nues nommé Subak-hee au XIIᵉ siècle, dans un contexte de cour et d’armée. Faire un lien direct et continu avec le Taekkyon moderne relève d’interprétations ultérieures, qu’il faut manier avec prudence.
Pourquoi parle-t-on de “jeu” alors qu’il s’agit de militaires ?
- Le hanja 戱 renvoie à l’idée de joute, de jeu et de spectacle. Le Subak-hee se situe donc à la frontière entre entraînement martial et divertissement de cour. Les soldats y participent à la fois comme praticiens et comme “performers” devant le roi et les lettrés.
En quoi cette source est-elle importante pour l’histoire des arts martiaux coréens ?
- Elle offre un repère historique solide : en 1170, un jeu/combat à mains nues nommé Subak-hee est pratiqué par des troupes et présenté à la cour. Cette source ne suffit pas à reconstruire une lignée technique, mais elle confirme l’existence d’un écosystème ancien de pratiques à mains nues, dans lequel le Taekkyon peut être pensé comme un héritier possible, parmi d’autres.