Taekkyon-hee, culture du jeu des jambes qui volent

Taekkyon
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Publié le
21 Nov 2025
Sommaire

1. Fiche d’identité

Titre :
Taekkyon-hee (탁견희 / RR : Takgyeon-hui) – poème et notice dans le Haedongjokji (海東竹枝)

Note sur les noms
Le texte original utilise le terme Takgyeon-hee (탁견희, RR : Takgyeon-hui), écriture liée aux systèmes de romanisation de l’époque et à une graphie aujourd’hui dépassée.
Dans ce blog, nous utilisons la forme normalisée Taekkyon-hee (et Taekkyon) pour conserver une écriture cohérente.

Date :
1925 – publication du Haedongjokji à Séoul (rédaction sur les années précédentes).

Lieu :
Corée du début du XXᵉ siècle, milieu urbain (Séoul / Hanyang), sous occupation japonaise.

Auteur :
Choe Yongnyeon (최영년, 崔永年, 1856–1935) – lettré, poète, journaliste, auteur d’un grand recueil de poèmes (Haedongjokji) décrivant mœurs, jeux et coutumes.

Langue originale :
Chinois classique coréen (한문 / hanmun), avec le nom vernaculaire 택견 (Taekkyon).

Nature du texte :

  • un poème en quatre vers de sept caractères ;
  • une courte glose en prose décrivant le jeu.

C’est un texte littéraire-ethnographique et non un manuel d’arts martiaux.

Section concernée :
Rubrique Taekkyon-hee (탁견희, 托肩戱) dans la partie sur les jeux et divertissements (유희, 戱) du Haedongjokji.

2. Extrait choisi

2.1. Texte original (hanja)

Poème :

百技神通飛脚術
輕輕掠過髻簪高
鬪花自是風流性
一奪貂蟬意氣豪

Glose en prose :

舊俗有脚術 相對而立 互相蹴倒 有三法
最下者蹴其腿 善者托其肩 有飛脚術者落其髻
以此或報仇 或賭奪愛嬉 自法官禁之 今無是戱
名之曰托肩戱

2.2. Traduction française

Poème :

Plusieurs techniques merveilleuses de jambes volantes
effleurent légèrement l’épingle à cheveux et le chignon.
Manière élégante de se battre pour une “fleur”,
d’un coup, une jeune fille est charmée, quel ravissement !

Glose en prose :

Dans les anciennes coutumes, il existait un « art des jambes » (脚術).
Deux adversaires se tiennent face à face, debout, et cherchent à se faire tomber par des coups de pied.
Il y a trois méthodes : les moins habiles frappent les jambes ; les bons touchent les épaules ; ceux qui possèdent l’art des jambes volantes (飛脚術) font tomber le chignon.
Avec cela, on peut tantôt se venger d’un ennemi, tantôt parier et jouer pour ravir l’être aimé.
Plus tard, les autorités judiciaires interdirent cette pratique ; aujourd’hui, ce jeu a disparu.
On l’appelait Taekkyon-hee (탁견희).

3. Contexte et lecture rapide

Choe Yongnyeon & le Haedongjokji
Le Haedongjokji (海東竹枝, « Branches de bambou de la Mer de l’Est ») appartient au genre jokji : des poèmes sur les mœurs locales, avec de brèves explications en prose. Taekkyon-hee apparaît dans la section des jeux (유희), aux côtés d’autres pratiques populaires. C’est une sorte d’ethnographie poétique de la Corée de la fin de Joseon au début du XXᵉ siècle.

Occupation japonaise & interdiction
Au moment de la rédaction, la Corée est sous domination coloniale japonaise.
Les « autorités judiciaires » (법관, 法官) mentionnées dans le texte renvoient à l’administration coloniale japonaise, qui :

  • limite les attroupements,
  • surveille les jeux jugés violents ou instables,
  • se méfie des rassemblements populaires.

Taekkyon-hee est décrit comme un jeu autrefois courant, aujourd’hui disparu à cause de cette interdiction.

Ce que décrit concrètement la source :

  • un nom : Taekkyon-hee (택견희) ;
  • un statut : classé parmi les jeux (戱) ;
  • un contenu : « art des jambes » (脚術), face à face, debout, objectif = faire tomber ;
  • une hiérarchie technique : jambes → épaules → chignon ;
  • des fonctions sociales : vengeance, paris, rivalités amoureuses.

C’est bref, mais c’est l’une des descriptions les plus nettes du Taekkyon tardif.

4. Limites & débats

Source tardive
Début XXᵉ siècle, sous colonisation japonaise : on parle d’une forme tardive, déjà folklorisée, pas du “Taekkyon originel”.

Texte littéraire
Choe est poète-observateur. On ne connaît ni les règles détaillées, ni la gestuelle fine, ni les enchaînements. Beaucoup de saveur, peu de technique précise.

Jeu vs art martial
Taekkyon-hee est explicitement un jeu (戱), même si le socle martial est visible (coups, chutes, vengeance). La notice décrit la version “Hee”, pas un programme d’entraînement militaire.

Interprétation de “bigak-sul” (비각술 / 飛脚術)
Le texte mentionne les pratiquants « qui possèdent l’art des jambes volantes » (bigak-sul / 飛脚術). Ce terme est souvent traduit, un peu vite, par “coup de pied sauté”, comme si le critère principal était le fait de quitter le sol. Or, la glose précise surtout que ces techniques font tomber le sangtu (상투), le chignon traditionnel : il s’agirait donc de toutes les formes de coups de pied capables d’atteindre la coiffure et de la défaire, pas uniquement de sauts spectaculaires.
Dans cette fiche, j’interprète bigak-sul plutôt comme des « coups de pied qui volent », au sens de trajectoires rapides, imprévisibles, capables de monter jusqu’à la tête ou à la coiffure, sans limiter cela à un unique modèle de “coup de pied sauté”. Les sauts en font probablement partie, mais bigak-sul ne se réduit pas à eux : c’est une lecture personnelle, qui met l’accent sur la qualité du déplacement et de la surprise plus que sur la seule perte de contact avec le sol.

Lien avec Subak
Le texte ne parle ni de Subak (手搏) ni de Subak-hee (手搏戱). Le rapprochement vient d’autres sources (Jaemulbo) et d’un modèle culturel commun :
un art à mains nues complet d’un côté, des formes Hee plus ludiques de l’autre.

5. Pourquoi cette source est importante pour le Taekkyon ?

Une des descriptions les plus précises de la forme tardive
D’autres textes mentionnent Taekkyon (Jaemulbo, poèmes, Korean Games), mais le Haedongjokji donne le plus de détails d’un coup : trois niveaux de frappes, zones ciblées, fonctions sociales, interdiction.

Confirmation de la dimension “art des jambes”
Le vocabulaire montre un Taekkyon centré sur les jambes, le déséquilibre et la chute.

Hiérarchie technique & cibles “safe”
Jambes, épaules, chignon : zones non vitales, mais très symboliques (équilibre, posture, coiffure).
On voit bien la logique du Hee : mettre en jeu le corps et le statut, limiter les dégâts graves.

Clé pour penser la famille Subak / Taekkyon
Taekkyon-hee incarne le schéma :
art martial complet → version Hee (jeux, concours, spectacles) où les règles et les cibles sont ajustées pour “amuser sans tuer”.
C’est un bon point d’appui pour relire les mentions de Subak / Subak-hee dans les annales dans cette même logique culturelle.

Témoin de la disparition sous la colonisation
Le texte fige le moment où ce jeu ne disparaît pas vraiment par choix, mais parce que le cadre légal et policier imposé par le pouvoir colonial rend ce type d’attroupement presque impossible. Il montre comment certaines pratiques martiales/ludiques sont marginalisées, puis plus tard “réinventées” comme patrimoine ou sport.

6. Conclusion

Taekkyon-hee dans le Haedongjokji est une petite source, mais un gros morceau : elle montre un jeu de jambes volantes structuré, avec trois niveaux, des cibles non vitales, un fort enjeu social… et une disparition liée à la colonisation japonaise.

Elle ne raconte pas tout le Taekkyon, ni son antiquité.
Mais elle oblige à voir le Taekkyon comme un art du lien et du jeu d’opposition, enraciné dans une culture martiale plus large, plutôt que comme une simple collection de techniques “qui font mal”. Cette ressource est une belle mise en jambe.

Que retenir de cette ressource ?

Que nous apprend cette source sur la technique du Taekkyon ?

Bigak-sul (비각술 / 飛脚術), est-ce forcément un coup de pied sauté ?

En quoi Taekkyon-hee aide-t-il à comprendre le lien entre Subak et Taekkyon ?

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